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si militairement un bill d'indemnité et un budjet. Chaque jour plus enfoncé dans ses nouvelles convictions, M. Guizot a fait un nouveau pas en arrière; chaque jour a ajouté quelque chose à l'humeur noire que lui fait éprouver le parti de la révolution. Lui qui a vu ce parti de si près, qui l'a flatté si long-temps, qui s'est si bien trouvé de l'avoir approché côte à côte, il en est venu sincèrement, je n'en doute pas, à se le représenter comme un monstre effroyable. Toute son expérience et son érudition ne lui ont pas appris à distinguer quelques folles déclamations des principes larges et généreux qu'il a professés lui-même pendant quelque temps. M. Guizot en veut, avec une curieuse bonne foi, à ce parti populaire qui a pris l'initiative sur la restauration, en le nommant ministre; il en veut au peuple de tout ce qu'il a fait, et dont luimême, homme du peuple, il profite; il voudrait le lui faire expier, le museler pour en finir et assurer ainsi la sécurité de l'aristocratie bourgeoise et financière qu'il s'est mis en tête de fonder sur la ruine de toutes les autres, même de l'aristocratie de l'intelligence où sa place était si naturellement marquée. M. Guizot n'en est encore, il est vrai, qu'à la haine de 93; mais comme un esprit si violent ne s'arrête guère en chemin, il arrivera bientôt à la haine de 89, et il se jettera infailliblement, sans qu'il soit possible de l'arrêter sur cette pente, parmi les terroristes de modération, et les septembriseurs monarchiques, qui voudraient, s'il était possible, réparer les attentats révolutionnaires en traitant les nations comme les révolutions ont traité les rois.

Les événemens de juin trouvèrent M. Guizot dans cette disposition. La monarchie de juillet eut grand peur ce jour-là que le flot de l'insurrection qui l'avait portée sur le trône ne l'emmenât dans un reflux terrible. On sait comment se termina cette tentative qui malheureusement ne fut pas la dernière, et qu'une autre, plus déplorable encore, a suivie récemment. La frayeur qu'elle inspira dut être bien grande, car la réaction fut bien violente. Dans le conseil, M. Guizot, soutenu par M. Thiers, à qui la peur fait toujours faire beaucoup de chemin, se montra pour les mesures les plus exagérées. Il fallait tout exterminer, en finir pour jamais avec tous les factieux, même avec ceux qui n'avaient pas bougé; on ne parlait que de suspendre indéfiniment la charte, d'essayer TOME II. SUPPLÉMENT.

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d'un 18 fructidor contre la presse libérale, la mauvaise presse, comme la nomme pédagogiquement M. Guizot. On ne fit pas tout ce qu'on se promettait de faire; mais l'état de siége, les arrestations, les conseils de guerre et les ordonnances de rétroactivité qui les instituaient, furent des pas assez décisifs, et montrèrent assez clairement où tendait le pouvoir. M. Guizot était déjà bien loin du temps où, du fond du cabinet de M. Périer, il essayait de faire de la force, mais comme l'entendait M. Périer lui-même, sans sortir de la charte et des lois. De telles idées lui paraissaient alors mesquines, il mit son habileté au service de sa colère, et il exploita avec un art infini, et sans ménagement, l'émeute qui venait d'échouer.

On se sent douloureusement ému en voyant une haute intelligence, comme celle de M. Guizot, se rétrécir et s'user dans de semblables combinaisons. Quand M. Guizot professait avec tant d'élévation la reconnaissance de tous les droits; quand il posait des bornes invariables au pouvoir; quand il déclarait que rien ne peut justifier ses empiètemens sur les droits du peuple, qui eût dit qu'un jour, monté au pouvoir par ses prédications, il serait luimême un de ces ministres subtils et envahisseurs qu'il flétrissait avec tant d'énergie, aux applaudissemens de toute la jeunesse accourue pour l'entendre? Qui eût dit aux lecteurs des beaux pamphlets de M. Guizot, qu'un jour viendrait où il prononcerait à la tribune ces tristes paroles : « Le parti que nous combattons est la mauvaise queue de la révolution; c'est un animal immonde qui vient traîner sur les places publique sa face dégoûtante, et y exposer les ordures de son ame.» Ainsi dans cette malheureuse transformation qu'ont subie le caractère et le talent de M. Guizot, son style même a changé, et avec ses vues hautes et graves, il se trouve avoir perdu aussi la belle simplicité et l'élégance antique de sa parole. Autrefois les adversaires de M. Guizot commettaient des erreurs, ils avaient de faux principes; il relevait avec esprit et dignité leurs inconséquences; il signalait sérieusement la fragilité de leurs théories aujourd'hui tout ce qui ne pense pas comme lui doit être rayé de la liste des gens honnêtes, c'est son mot, et il l'applique à ses seuls partisans; tous les autres sont livrés à de basses et criminelles pensées, et dévorés par de mauvaises passions. Les mauvaises passions! c'est là surtout son injure favorite; les

mauvaises passions sont toutes celles qui ne mènent pas l'homme qu'elles dominent, à une parfaite obéissance aux volontés du pouvoir, celles qui lui enseignent qu'il pourrait bien n'être pas à sa place, et que son talent ou ses vertus l'appellent à monter plus haut; les mauvaises passions consistent également à se plaindre de la prodigalité, de la corruption et du monopole, à défendre les intérêts menacés; les mauvaises passions sont tout ce qui cause une agitation quelconque dans la société que M. Guizot voudrait voir sereine, immobile et sans une ride à sa surface, depuis qu'il est placé à son sommet. M. Guizot avait donc aussi des mauvaises passions quand, pauvre précepteur, il cherchait les moyens de sortir de sa médiocrité obscure? Il avait des mauvaises passions quand sous le ministère Richelieu il écrivait pour le ministère Decazes; il avait de plus mauvaises passions encore quand il s'acharnait dans les journaux contre M. Villèle; quand dans la chaire du Collège de France, il faisait des allusions à la révolution de 1688, en présence d'une jeunesse innocente qu'il familiarisait avec les idées de révolte et de perturbation? Et quelles passions, si ce ne sont les plus mauvaises selon lui, que celles qui le menèrent au milieu de la société Aidetoi, le ciel t'aidera, d'où s'éleva le premier cri d'insurrection contre le gouvernement légitime!

Faut-il donc dire à M. Guizot que la pire de toutes les passions, c'est de n'en avoir plus aucune, c'est d'être tiède et désorienté dans ses convictions, d'être insouciant du bien, de ne plus savoir où l'on va, ou plutôt de se proposer un but qu'on n'ose avouer hautement? M. Guizot ne sait-il pas que les mauvaises passions ne sont point seulement celles qui troublent la société, et que la passion du repos égoïste, de la domination fondée sur de faux principes et sur le mépris des masses, est plus condamnable encore? Nous savons, comme M. Guizot, qu'il y a beaucoup de mauvaises passions dans la multitude qui souffre, qui paie, et qui s'aigrit en voyant qu'on ne s'occupe pas d'alléger ses souffrances et son fardeau; mais celles-là sont-elles moins pardonnables que les mauvaises passions des hommes enrichis, satisfaits et puissans, qui se font une arme contre le pays des murmures qu'ils lui arrachent, et qui aggravent le mal à leur profit? A ceux-là j'adresserai les justes reproches qu'un écrivain de quelque valeur adressa autrefois à un gouverne

ment qui se servait de moyens pareils: Vous accusez les masses des dispositions que vous propagez vous-mêmes dans leur sein; nous repoussons votre accusation comme votre ouvrage. Vous nous traitez toujours d'imprudens; souffrez que nous vous traitions d'insuffisans. C'est une dure alternative, j'en conviens, que d'avoir à choisir entre l'habileté de quelques hommes et l'aveuglement d'un peuple. Mais permettez-nous de disposer plutôt de vous que de la France, et laissez-nous croire, quand le présent est si peu sûr avec vous, que l'avenir ne serait pas sans ressources, si vous n'en étiez plus chargés. Ces paroles sont de M. Guizot.

N'allez pas vous alarmer pour la France que vous aimez tant, monsieur. Elle secouera son flanc, et elle renversera les doctrinaires et ceux qui s'accommodent avec eux du pouvoir, comme elle a renversé tant d'autres gens inhabiles qui voulaient la gouverner, ne la connaissant pas. L'école doctrinaire en est encore là. Fondée en quelque sorte dans une pensée monastique comme l'était la congrégation, elle a vécu en elle-même, avec un profond dédain et une indifférence moqueuse pour tout ce qui n'est pas elle, indifférence encore augmentée par l'ecclectisme commode que le maître avait arrangé pour son usage. Depuis qu'elle a passé aux affaires, cette indiffé rence est devenue de la rouerie, et l'on peut dire avec certitude qu'il n'y a plus, à cette heure, aucune théorie dans l'école. Comme on n'y a jamais étudié les besoins de la France et qu'on y méconnaît ses véritables sentimens, on marche en pays inconnu, faisant un pas chaque jour et laissant un jalon derrière soi pour marquer la route, ou, pour mieux dire les doctrinaires ressemblent à ces navigateurs dont Solis a fait l'histoire, qui s'en allaient découvrir des terres au nom du roi d'Espagne, et qui, arrivés au haut d'une montagne, étaient tout à coup éblouis au spectacle d'une mer immense et nouvelle et d'une contrée sans fin. Leur premier mouvement était alors de planter un drapeau pour prendre possession de ces eaux et de cette contrée avant de les connaître, avant de savoir si cette mer était navigable, si cette terre était habitée, sans nul moyen de les conquérir et de les dominer. Beaucoup de ces hardis aventuriers réussirent; mais ils suivaient des chefs qui manquent, heureusement pour nous, aux doctrinaires. Croyez-moi, ceux-ci n'ont parmi eux ni des Christophe Colomb, ni des Fernand Cortez, ni même des Pizarre. (West-End Review.)

REVUE

DE VOYAGES.

III.

DES ÉTUDES GÉOGRAPHIQUES

EN FRANCE ET A L'ÉTRANGER.

La géographie a largement participé au mouvement intellectuel de notre époque : son domaine s'est agrandi, ses procédés ont été perfectionnés, et les matériaux recueillis par des efforts isolés ou collectifs se sont tellement multipliés, que l'on peut aujourd'hui regarder comme un objet important d'études le classement et le triage de cette masse de richesses éparses. Présenter sous une forme concise un tableau d'ensemble des acquisitions récentes de la géographie, mettre nos lecteurs au courant des travaux de ceux qui la cultivent, tel est le but que nous nous sommes proposé dans cette esquisse.

Les sujets que nous avons à passer en revue étant aussi variés que nombreux, nous avons dû les distribuer par groupes, dans l'ordre qu'indique leur importance relative, afin d'apporter dans cette longue énuméra

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