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j'avais entendus d'en haut, et qui, au moment de ma chûte, étaient venus sur moi l'épée levée, mes propres gens et mon frère, lorsque je me sentis presser dans leurs bras! Je leur prenais les mains; je les appelais par leurs noms; je touchais les murs de mon alcove. Oh! c'étaient bien mon frère et mes gens! c'était bien mon logement! Mais, j'en atteste la sainte figure de Dieu de Jaen, je tenais l'événement à pur miracle.

Redevenu capable de rassembler quelques idées et de les exprimer, j'avais raconté mon aventure de la nuit, ou du moins ce que ma mémoire troublée m'en laissait comprendre. Assurément, blessé comme je l'étais en trois endroits à la tête et à l'épaule, et affaibli par la perte de mon sang, je n'étais guère en état de quitter mon lit et ma chambre; mais, si j'y restais, il y avait péril que les assassins, désappointés, ne cherchassent à en finir avec moi, par l'ouverture élargie du plafond, de quelque coup d'arquebuse. Entraîné par mon frère qui me soutenait, je sortis donc le plus précipitamment que je pus de notre logis.

Mais à peine avions-nous traversé la rue, lorsqu'un bruit soudain, que nous entendîmes près de nous, nous fit nous ranger dans l'ombre, sous l'auvent de la boutique d'un barbier; alors, d'une petite porte cachée à l'angle de notre maison, et que j'avais toujours crue condamnée, mais qu'aux lumières venant du passage étroit sur lequel elle s'ouvrait, je reconnus, à n'en pas douter, pour celle par où m'avaient introduit tant de fois le vieil écuyer et les nègres au sortir de la chaise, je vis se précipiter les trois braves, l'épée à la main. Sans doute, m'ayant vu emmené de ma chambre, ils avaient espéré me couper la retraite et m'achever dans la rue.

Par Santiago! à leur vue, ce qu'ils m'avaient laissé de sang me bouillonna terriblement dans les veines. Si faible que je fusse, je voulais appeler mes gens, et, fondant avec eux sur ces misérables, mettre un peu d'acier en leurs pourpoints, près de l'or qu'ils emportaient pour leur salaire de meurtriers.

Mon frère me contint de force, ne permettant pas même que je rentrasse de la nuit en notre logement; bon gré mal gré il me conduisit ou plutôt me porta jusque près du couvent de San Miguel, chez un de nos amis dont la maison était toute à nous.

Ce fut là que je passai quatre jours entre la vie et la mort. Mes blessures étaient plus graves et plus profondes qu'on ne l'avait jugé d'abord; et si mon ame ne sortit point par elles de mon corps, certes, c'est que mon bon ange l'arrêta lui-même de ses mains à ces portes ensanglantées. Etendu près d'un mois en ma couche, j'eus le loisir aussi de me jeter en des pensers et des ressouvenirs bien amers! Cette cruelle femme qui

m'avait voulu tuer, n'avait pourtant pu tuer mon amour! Oui, lâche et aveugle que j'étais, je l'aimais encore; je me persuadais qu'elle m'avait noblement aimé elle-même; je cherchais à son crime des excuses et les fondais sur les vraisemblances de ma faute! Je prétendais me prouver qu'elle avait bien dû se croire mortellement offensée, et qu'elle avait eu de légitimes raisons de se venger.

Pourquoi les salutaires réflexions que je fis seulement plus tard, ne vinrent-elles pas dès-lors à mon secours? Elles eussent hâté de beaucoup la double guérison de mon corps et de mon ame.

Au moins tout ce qui, dans les détails de cette singulière et tragique aventure, avait été si long-temps entouré pour moi de mystères merveilleux, tout ce que j'avais été tenté parfois d'en attribuer aux prestiges des sorcelleries, tout cela m'avait été bien clairement expliqué par ce dénouement.

Ainsi, la comtesse et moi nous habitions la même maison, bien que nos appartemens eussent chacun des issues différentes. Cette ouverture du parquet de son cabinet qui donnait dans ma chambre et sur mon lit même, le hasard l'avait commencée peut-être, la curiosité l'avait disposée ensuite et masquée. C'était par là que mes actions avaient été épiées et mes discours écoutés; c'était par là que m'étaient venus ces billets tombés du ciel. Cette chaise à porteurs aussi, par laquelle je m'imaginais être conduit bien loin, me prenait presque à ma porte et me ramenait à ma porte, m'ayant seulement fait voyager une heure par la ville! Quoi de plus simple et de moins surnaturel que tous ces incidens; mais qui se fût douté jamais de leur simplicité?

Enfin, à force de les examiner et d'y réfléchir, je sus me refaire quelque calme et quelque raison. Toutes les circonstances de cette aventure n'étaient pas de nature, en effet, à entretenir long-temps les illusions de mon amour. Comment celui dont j'avais supposé cette femme éprise était-il entré en son cœur? Par ses contemplations indiscrètes et prolongées, fruit de son oisiveté et de l'étroite retraite où la laissait son mari, elle s'était enflammée de désirs grossiers; et, afin de les satisfaire sans danger pour elle-même, elle s'était avisée de tous les stratagêmes capables de lui assurer l'impunité de son déshonneur! Etait-ce donc là de l'amour?

Et m'eût-elle aimé enfin, et se croyant trahie, en son furieux ressentiment, eût-elle été saisie de la soif d'une prompte et mortelle vengeance, sans plus attendre ni délibérer, que ne me faisait-elle alors assaillir et percer de dagues au détour de quelque rue? car c'est ainsi qu'en d'honorables et subites colères une ame passionnée est excusable peut-être de se venger. Mais non, elle avait préféré me voir égorgé sous ses yeux et en son lit, afin de se défaire de moi plus sûrement, afin de m'enterrer en

suite, sans doute, au fond des caveaux de sa maison, et d'ensevelir avec mon cadavre les témoignages de toutes ses infamies, le scandale de sa vie et le crime de ma mort! Etait-ce là aussi de la vengeance?

J'ai peu de commerce avec les livres et ne me mêle guère de leurs discours; mais certains philosophes, m'a-t-on conté, pensent qu'il est des occasions où l'on peut tuer ceux que l'on aime bien. Ces sages-là auront dû dire aussi, comme c'était raison, qu'il faut au moins bien aimer soi-même, pour avoir droit de tuer, et surtout tuer justement.

Ce fut un soir de l'hiver de 1859 que je descendis, par une pluie batlante, à Buytrago, dans une posada, la meilleure peut-être qu'il y ait en toute la Vieille-Castille, sur la route de Madrid, mais où je n'oserais pas toutefois souhaiter que le plus malveillant de mes lecteurs fût jamais contraint comme moi de passer la nuit.

Après avoir essayé de manger, assis dans la cheminée, d'un certain ragoût à l'huile qui me fut compté le lendemain matin pour un souper, je fus mené à une vaste chambre où je me promis d'abord le dédommagement d'un sommeil facile, car il ne s'y trouvait pas moins de quatre immenses lits. Mais, dès que l'on m'eut laissé seul, et qu'à la lumière de mon candil je les eus examinés tous successivement, sur cette simple inspection, (non qu'elle m'eût donné, je vous assure, la moindre appréhension d'une attaque à main armée contre ma bourse ou ma personne), comme je tenais à sortir vivant de l'auberge, je me décidai inébranlablement à ne me point coucher.

Cependant, tandis que, de crainte de m'endormir, même sur une chaise, j'allais et venais par mon appartement, je découvris, en furetant au fond d'une armoire, un vieux livre espagnol tout poudreux, dont les rats avaient rongé plus des trois quarts. Ils en avaient laissé néanmoins un chapitre à peu près intact. C'était celui qui contenait l'histoire de la Bella Malcasada. La lecture de cette histoire m'ayant doucement abrégé les heures de la nuit, j'avais résolu, par reconnaissance, de l'insérer, en forme de fragment, dans mes Voyages et aventures en Espagne; mais, en y réfléchissant, j'ai craint que l'inexorable critique ne m'accusât un jour d'avoir grossi mes OEuvres complètes aux dépens des romanciers de la Péninsule. Obéissant donc à des scrupules littéraires fort exagérés, m'assure-t-on, et tout-à-fait tombés en désuétude de ce côté des Pyrénées, avec une probité toute castillane, j'ai cru devoir me borner à reproduire à part, aussi fidèlement que j'ai pu, le récit de don Andres.

LORD FEELING.

ÉTUDES

DE L'ANTIQUITÉ.

III.

SALLUSTE.

Sylla fut le dernier homme qui sut prêter à la cause de l'aristocratie romaine de la force et du génie. Tout dans sa vie dénote une intelligence des choses qui lui permit de consommer sa grandeur personnelle aussi heureusement qu'il l'avait commencée, et son abdication n'est pas un des moindres indices de sa fortune et de son esprit. Il y a dans cette action autre chose qu'une superbe fantaisie se plaisant à rejeter le pouvoir souverain, et prodiguant son mépris à Rome en lui rendant la liberté. Quand Sylla dépouille la pourpre et la dictature, il condamne lui-même cette aristocratie qu'il a vengée; car déposer le pouvoir, c'était l'en déclarer incapable.

Telles étaient effectivement les conjonctures de la république que le triomphe de Sylla sur Marius ne compensait pas l'infériorité morale qui dégradait l'aristocratie, et ne pouvait cacher au vainqueur d'Orchomène les forces vives qui se remuaient dans la cause démocratique et se préparaient à reprendre l'œuvre des Gracches et de Marius. Aussi quand Sylla eut achevé son bonheur et sa vie, de quel côté se déclara la prééminence du talent et de l'habileté, si ce n'est dans le parti populaire?

Que dire de Pompée, la médiocrité la plus fastueuse et la plus enflée qui ait jamais paru dans les affaires? Crassus manque d'ambition; il n'a que de l'avarice et de la vanité: Caton, sans génie, s'appuie sur une vertu qui ne sauve personne; Cicéron, cet homme nouveau qui s'égara dans l'amitié de Pompée, ne fut-il pas durant sa vie l'admiration et le jouet de tout le monde?

Cependant brillaient dans le parti populaire deux hommes dont les renommées vigoureuses qui poussaient tous les jours, accablaient les réputations aristocratiques : nous voulons dire César et Salluste. L'historien de Jugurtha, de l'Afrique, de Marius et du vir siècle de Rome, ne saurait étre séparé de César, si l'on ne veut pas dénaturer l'entente de son esprit et de son temps. César et Salluste servent la même cause et le même mouvement du monde; la plumé du second est aussi ardente et aussi acérée que l'épée du premier, et tous les deux ont arraché à l'aristocratie non-seulement l'empire, mais la primauté du génie politique.

Dans ce que nous dirons de Salluste, nous aurons l'avantage de nous autoriser des recherches érudites du président de Brosses. Le livre qu'il nous a laissé: Histoire de la République romaine dans le cours du vir siècle (Dijon, 1777, 5 vol. in-4o,) est une des productions les plus substantielles de la science française. Le style est faible, la pensée raisonnable, l'érudition immense : c'est une de ces grandes manutentions de faits et d'études qui servaient autrefois de loisir à notre ancienne magistrature, et dont l'habitude semble se perdre aujourd'hui.

Caius Sallustius Crispus naquit à Amiterne, ville du pays des Sabins, l'an de Rome 668, sous le septième consulat de Marius et le second de Cornelius Cinna. On ignore le nom de sa mère; son père cut du mérite et de la probité: sa famille était plebeienne

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