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comprirent pas toujours, s'attachèrent sur-tout à ses formes arides et rebutantes; ils divisèrent, morcelèrent, disséquèrent toutes les questions, et portèrent par-tout la sécheresse et la subtilité.

Il serait trop long de parler ici d'Epicure, de Pyrrhon, de Diogène, et d'autres philosophes tous sortis de l'école de Socrate, qu'ils dénaturèrent; je m'arrêterai seulementà Zénon, le fondateur du stoïcisme, qui paraît avoir assez bien saisi et connu les procédés de l'esprit humain. Il avança qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été dans les des vues de les abstractions ne sont que , que l'esprit, que toute connaissance vient de l'observation d'un fait. C'est l'oubli de ces principes qui, pendant près de deux mille ans, plongea la philosophie dans un chaos dont elle n'a été tirée que de nos jours.

sens

Chez les Romains, peuple sérieux et guerrier, la philosophie fut plusieurs siècles sans trouver de sectateurs. On bannit même plusieurs fois de Rome ceux qui la professaient. Caton fit renvoyer en Grèce l'ambassadeur Carnéades. Cependant elle surmonta les obstacles qu'on lui opposait, et parvint enfin à s'introduire dans la capitale du monde. Lucrèce développant le système d'Epicure nia en beaux vers la Providence et l'immortalité de l'ame. Cicéron, sans adopter aucun système particulier, se déclare pour l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame, et pour tous ces sentimens moraux que l'auteur de la nature a gravés luimême dans nos cours; il sème la philosophie de fleurs et développe avec une élégante austérité les principes éternels

de la morale.

Depuis Auguste qui favorisa les philosophes, ils furent maltraités jusqu'à Nerva et Trajan: mais alors on cultivait bien plus la morale et les doctrines qui tendaient à affermir l'ame contre les dangers, que la logique et l'art de raisonner. On avait besoin de se fortifier contre la tyrannie et l'infortune. Le stoïcisme fut en honneur, et l'école de Zénon produisit un grand nombre d'ames fortes qui donnèrent au monde le spectacle des vertus le plus héroïques. Sénèque développa avec une espèce d'enthousiasme les principes de celle secte, et Tacite s'attachant à la pratique, en qualité. d'historien, peignit avec son éloquence mâle et précise et la cruauté qui se met au-dessus de toutes les lois, et le courage inébranlable qui sait la braver. On raisonnait trop mal pour faire aucun grogrès dans les sciences; cependant

Sénèque fit sur la physique un traité dont la partie historique n'est pas sans mérite.

La philosophie fut favorisée et honorée sous Adrien, Marc-Aurèle, Septime-Sévère et Antonin. Toutes les doc-~ trines cherchent à se mélanger, à se combiner. On s'efforce d'allier les théories de Platon avec le stoicisme. On modifie successivement les systèmes de Pythagore et de Platon. Porphyre au troisième siècle tâche de concilier ce dernier avec Aristote. Sextus Empiricus défend avec beaucoup d'art et de subtilité le septicisme, qui bientôt disparaît au milieu de l'enthousisme dogmatique. L'école d'Alexandrie domine. La contemplation et l'illumination sont regardées comme l'origine unique des connaissances. On peuple l'Univers de génies intermédiaires avec lesquels les initiés entrent en communication. Ils peuvent conjurer les efforts' des mauvais et s'attirer la protection des bons. Excepté les deux Plines, Galien qui comme Hippocrate son maître s'attacha à l'observation, et Ptolémée qui donna sur le monde un système assez bien enchaîné et rectifié au seizième siècle par Tichobrahé et Copernic, tous les autres philosophes de cette époque, mais sur-tout Jamblique, Porphyre, Prodicus et Sopatre, donnèrent plus ou moins dans la magie et la daimonologie. Julien fut un de leurs plus zélés partisans ; il abandonna le christianisme pour la théurgie.

La philosophie cultivée par tous les hommes instruits, enseignée dans toutes les écoles, n'avait pu manquer de s'introduire dans le christianisme. Platon parle avec éloquence de la divinité, de la pureté de l'ame, de la vertu; aussi tous les premiers pères de l'église, Justin, Tatien, Origène, Quadrat, Lactance furent-ils platoniciens. Aristote au contraire semblait nier la Providence, l'immortalité de l'ame; il raisonne d'une manière sèche et aride; il trouva peu de partisans parmi les chrétiens. Tertullien disait que la dialectique d'Aristote n'était propre qu'à jeter dans des disputes interminables.

Constantin, en transportant à Constantinople le siége de T'empire, prépara la chute de Rome; bientôt l'arianisme met tout en feu. Les Goths surviennent et ravagent l'Italie; Alaric est maître de Rome. Au milieu de tant de dissensions et de guerres pouvait-ou se livrer à l'étude? On voit cependant paraître, vers celte époque, saint Jean de Damas qui ayant étudié chez les Arabes donna un corps de théologie scholastique, et Boëce, auteur de la Consolation de

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la Philosophie, et traducteur de Platon et d'Aristote; mais c'étaient les dernières étincelles d'un feu qui ne devait se rallumer de long-tems.

Les plus profondes ténèbres vinrent couvrir toute l'Europe. Pendant près de huit siècles, l'esprit humain, loin de faire aucun progrès, s'enfonça de plus en plus dans l'ignorance et la barbarie. La religion consistait en apparitions, en reliques, en pélerinages, la justice en épreuves et en combats. On supposait des écrits, des titres; tout était marqué au coin de la fausseté, et à peine dans cette longue suite de siècles trouverait-on un seul ouvrage que pût avouer le goût et la raison. On avait vu la magie s'introduire dans la philosophie; on redouta donc cette dernière science, on proscrivit toute étude profane, et au septième siècle nous voyons saint Grégoire-le-Grand se faire un mérite de violer les lois de la grammaire en écrivant. Bientôt toute la philosophie consista à savoir chanter au lutrin.

Charlemagne paraît; il était au-dessus de son siècle et par ses talens militaires, et par ses vues politiques, et par son zèle pour l'instruction. Il fit tout ce qu'il dépendait de lui pour se tirer de l'ignorance lui et ses sujets, et n'en put venir à bout. Les méthodes étaient vicieuses, et les guides que l'on suivait ne pouvaient qu'égarer. C'étaient Cassiodore, Capella, Macrobe qui a critiqué Virgile, et saint Augustin qui avait un beau génie, mais peu de goût et trop de subtilité. La philosophie commençait à se confondre avec la théologie. Cependant nous ne voyons pas encore dans les écoles la scholastique et l'art de disputer.Les troubles dont l'Europe fut agitée sous les faibles successeurs de Charlemagne, apportèrent de grands obstacles aux études; et les établissemens de ce grand homme tombèrent dans la langueur. Le latin se défigura; on ne fut plus en état de rien produire; on se contenta de compiler les pères, de faire des recueils de leurs pensées et de leurs sentimens. Ainsi firent Bede et Theodulfe; cette méthode paisible, assez bonne en elle-même, annonçait cependant une espèce de sommeil léthargique dans la pensée.

Ce sommeil cessa enfin; ce fut au onzième siècle époque fameuse des violentes querelles du sacerdoce et de l'empire, au moment où l'austère et inflexible Grégoire VII détrônait les rois et bouleversait les états, que l'esprit humain reprenant son activité se livra à la scholastique qui entra définitivement dans la philosophie et la théologie. Cette méthode nous venait des Arabes. Avi

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cennes et Averroës, commentateurs obscurs des traductions déjà infidelles d'Aristote, furent les guides auxquels on s'attacha. L'habileté dans la dispute conduisit aux richesses et aux dignités. Ce fut à qui se signalerait le plus dans cette carrière. Une distinction nouvelle était regardée comme une découverte importante, comme un moyen de victoire et de triomphe. Ce siècle devait être celui des hérésies. Bérenger, écolâtre de Tours, fécond en opinions nouvelles qu'il était bientôt obligé de rétracter, fut condamné dans onze conciles. Abeilard qui excite l'intérêt par ses liaisons avec Héloïse, qui eut du génie et quelques vues saines, poussa l'art de disputer jusqu'à la plus profonde subtilité. Sans cesse entouré de plusieurs milliers d'écoliers, il jouissait de la plus brillante réputation. Mais il ne fut pas plus heureux en dialectique qu'en amour, Saint Bernard l'attaqua et le fit condamner. Je ne sais si ce saint, la gloire et l'oracle de son siècle, ne mit pas un peu trop de vivacité dans ses poursuites contre Abeilard; je ne sais s'il eut raison de l'accuser d'hérésie, mais à coup sûr, il pouvait lui reprocher d'obscurcir la raison et la foi par des abstractions minutieuses, et de se consumer trop souvent en vains efforts pour ne saisir que des ombres et des fantômes. Saint Bernard montra certainement du goût et de la justesse d'esprit en condamnant tant de vaines subtilités, et en traitant la religion selon la méthode des pères.

L'art de raisonner n'est que l'art de comparer l'inconnu avec le connu, pour découvrir par-là ce que l'on ne connaît pas. Aristote sut réduire à certaines classes toutes ces manières de comparer les idées. Ces classes sont les figures du syllogisme, à l'aide desquelles on peut voir toutà-coup si une conséquence est fausse ou juste. Le même philosophe classa également les attributs et les propriétés des êtres en général, et pour connaître l'essence et les rapports d'un être en particulier, il ne fallait qu'examiner

quelle classe il appartenait. Telles sont les cathégories. On crut donc, à l'aide de ces cathégories et des figures du syllogisme, pouvoir juger et raisonner de tout: mais avec toutes ces formules, aussi embarrassantes qu'ingénieuses, on pouvait fort bien ne raisonner que sur des mots, et sur des êtres qui n'ont d'existence que dans l'imagination. C'est ce qui avait lieu effectivement. Roscelin, maître d'Abeilard, s'en aperçut et montra que les idées sur lesquelles en raisonnait n'étaient que de simples vues de l'esprit et

n'avaient aucune réalité dans la nature. Cette opinion pouvait mener à des résultats utiles, mais déjà soutenue par Zénon, elle fut mal défendue. Elle trouva des adversaires violens qui prétendirent que la logique, telle qu'elle était, avait pour objet les choses et les mois. De là se formèrent les sectes des nominaux et des réalistes, dont les disputes très-vives et souvent sanglantes durèrent plusieurs siècles. L'opinion des nominaux finit par être par-tout proserite, jusqu'à ce que Bacon s'en emparant 500 ans après, en tira cette conséquence utile et féconde, que les abstractions nous égarent quand on en veut faire le principe de nos connaissances, et que l'on ne s'instruit véritablement que par les faits et l'observation.

On était encore loin d'en venir à cette idée qui nous paraît simple aujourd'hui. On brûla, il est vrai, la physique, la métaphysique d'Aristote en 1209, mais sa dialectique fut toujours suivie; elle prit un nouvel ascendant et trouva de solides appuis dans Albert-le-Grand qui vint alors à Paris, dans Scot et dans saint Thomas d'Aquin qui ayant été canonisé depuis, rendit respectable une méthode souvent combattue.

Jean Scot et saint Thomas donnèrent naissance aux scofistes et aux thomistes. Ces deux partis, divisés par quelques distinctions et quelques subtilités, se réunissaient contre les nominaux qui même furent assez vivement persécutés en Allemagne par les papes. En vain les nominaux recommandaient l'étude de l'écriture sainte, de la tradition, de l'histoire ecclésiastique et civile. Il était plus aisé de n'avoir à étudier qu'un seul ouvrage où l'on prétendait tout trouver. Aristote, qui avait été condamné dans le treizième siècle, triompha complètement dans le quinzième. La cour de Rome ordonna de l'enseigner, et l'on ne fut plus reçu aux gradés de l'Université sans être en état de répondre sur sa dialectique, sa physique, sa métaphysique et sa morale. Le péripatétisme domina dans toutes les écoles. A ces mauvaises méthodes joignez une langue informe, un latin barbare, et vous pourrez juger de l'état où se trouvaient les sciences. La rhétorique n'était que l'art de parler par des figures gigantesques, la poésie rampait sans harmonie; logique consistait à faire des syllogismes bons ou mauvais; la métaphysique ne savait que réaliser des abstractions; en physique, on croyait pouvoir tout expliquer par le moyen des qualités occultes; la théologie n'était qu'un amas de doutes et d'opinions probables. On expliquait l'écriture

la

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