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protestants. Bossuet s'exagéra les dangers du système de Fénelon; il « craignit de trahir la cause de l'Eglise, s'il mollissait ou s'il apportait des ménagements dans une lutte où il y allait, selon lui, de toute la religion. »>

Au moment où Fénelon se voyait menacé d'en venir aux mains avec le grand champion de l'Eglise catholique, il apprit l'incendie de son palais à Cambrai, la perte de sa bibliothèque, de ses papiers et de ses manuscrits, qui lui avaient servi à l'éducation du duc de Bourgogne, et qui avaient été le travail de ses plus belles années. Ce malheur irréparable ne lui arracha que ces paroles touchantes: « Il vaut mieux que le feu ait pris à ma maison qu'à la chaumière d'un pauvre laboureur. »

Louis XIV voulut faire examiner le livre de Fénelon par une assemblée d'évêques. Comme ces prélats s'étaient rangés du côté de son adversaire, et qu'ils n'avaient aucune autorité pour le juger, il prit le parti de déférer sa cause au tribunal du pape, et il demanda au roi la permission de se rendre à Rome. Louis XIV lui défendit de sortir du royaume, et lui enjoignit de se retirer sur-lechamp dans son diocèse. Dès que le jeune duc de Bourgogne apprit le départ de son précepteur, il alla se jeter aux pieds de son aïeul; mais il ne put rien obtenir. « Non, mon fils, répondit le roi, je ne suis pas maître de faire de ceci une affaire de faveur. Il s'agit de la sûreté de la foi; Bossuet en sait plus dans cette matière que vous et

moi. Louis XIV était à jamais prévenu contre Fénelon, qu'il appelait « le plus chimérique des beaux esprits de son royaume. » Bientôt il lui ôta le titre et les appointcments de précepteur, lui retira le logement qu'il avait à Versailles, et disgracia tous ses amis, à l'exception des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. En même temps, il faisait presser par son ambassadeur à Rome la condamnation du livre des « Maximes des Saints ». Malgré ses impérieuses sollicitations, l'examen de cet ouvrage dura un an et demi.

Pendant ce temps, Fénelon avait cru devoir publier un écrit, pour justifier la pureté de ses intentions et dissiper les préventions odieuses qu'on cherchait à répandre contre lui. Bossuet lui répliqua, et ce premier acte d'hostilité fut le commencement d'une vive polémique. Une foule d'écrits se succédèrent avec rapidité. Cette querelle entre les deux plus grands évêques de France, qui ne pouvait qu'affaiblir la foi et l'autorité de l'Eglise, affligea tous les amis de la religion, et inspira à un contemporain les vers suivants :

Dans ces combats où les prélats de France
Semblent chercher la vérité,

L'un dit qu'on détruit l'Espérance,
L'autre se plaint que c'est la Charité :

C'est la Foi qu'on détruit, et personne n'y pense.

Fénelon déploya dans la lutte une inépuisable fécon

dité de ressources, un art admirable, une force et une vigueur qui semblaient incompatibles avec la tendresse de sa nature et les grâces de son esprit. Souvent le « Cygne de Cambrai porta à « l'Aigle de Meaux » des coups qui lui arrachèrent des cris de détresse. Etonné lui-même, en lisant les éloquentes et habiles réponses de son rival, Bossuet ne put s'empêcher de dire: « M. de Cambrai a bien plus d'esprit que moi; il en a à faire peur. »

Après une année entière de discussions, les dix examinateurs, nommés par le pape, se partagèrent : cinq déclarèrent que le livre des « Maximes des saints »> ne méritait aucune censure; les cinq autres soutinrent qu'il renfermait plusieurs propositions répréhensibles. Ce partage équivalait, selon les usages du Saint-siége, à une absolution. Malheureusement, le pape, cédant aux instances trop vives de Louis XIV, qui demandait la condamnation du livre comme une chose nécessaire au repos et au bien de l'Etat, déféra la décision finale à la congrégation des cardinaux du Saint-office. Au bout de six mois d'examen, ils convinrent à l'unanimité que vingt-trois propositions, extraites du livre, étaient « téméraires, dangereuses, erronnées». Un bref du pape les condamna. Le pontife usa, dans cette pièce, des formes les plus douces. Il voulut ménager l'honneur et la personne de Fénelon, dont il estimait la piété, le génie et les intentions, et qui n'avait à ses yeux que le tort d'avoir pro

fessé une doctrine orthodoxe dans un langage inexact. Fénelon allait monter en chaire, lorsqu'il reçut cette fatale nouvelle. Malgré sa douleur, quelques instants lui suffirent pour se recueillir et pour changer le sujet de son sermon, et il prêcha sur la soumission due à l'autorité des supérieurs. Il annonça la condamnation de son livre, rétracta les opinions erronnées qu'il y avait émises, et finit en disant qu'il se soumettait entièrement au jugement du pape. Peu de jours après, il publia un «< Mandement » adressé à tous ses diocésains: « Nous adhérons au bref, dit-il,simplement, absolument et sans ombre de restriction... Nous nous consolerons de ce qui nous humilie, pourvu que le ministère de la parole, que nous avons reçu du Seigneur pour votre sanctification, n'en soit pas affaibli, et que, nonobstant l'humilité du pasteur, le troupeau croisse en grâce devant Dieu... A Dieu ne plaise qu'il soit jamais parlé de nous, si ce n'est pour se souvenir qu'un pasteur a cru devoir être plus docile que la dernière brebis du troupeau.» (1699.)

Une soumission aussi humble de la part d'un homme qui, selon l'expression de d'Aguesseau, « s'était défendu comme un lion, tant qu'il avait espéré de n'être pas vaincu,» valut à l'archevêque de Cambrai l'admiration de Rome et de toute la chrétienté. Mais elle ne suffit pas encore pour le faire rappeler à la cour. Bientôt la publication du « Télémaque» vint achever de perdre

pour jamais Fénelon dans l'esprit de Louis XIV (1699). Les Aventures de Télémaque», espèce de continuation de « l'Odyssée», sont un roman d'éducation composé pour le duc de Bourgogne, et inspiré par la lecture d'Homère, de Xénophon et de Virgile. L'auteur suppose que Télémaque, fils d'Ulysse, part de la petite île d'Ithaque, pour aller à la recherche de son père, retenu loin de sa patrie, depuis la ruine de Troie, et qu'il parcourt inutilement tous les rivages de la mer Méditerranée. Il est guidé par la sage Minerve, cachée sous la figure d'un vieillard appelé Mentor. Fénelon fait servir ses voyages et ses aventures, qu'il pare des grâces un peu artificielles du style poétique, à enseigner à son élève les leçons de morale qui conviennent le mieux aux princes et les maximes de gouvernement les plus favorables au bonheur des peuples.

Les devoirs des rois sont développés moins par des préceptes que par les aventures arrivées au jeune héros. Ainsi l'auteur enseigne à son élève la constance dans l'infortune, lorsque Télémaque est esclave en Egypte; le respect dû à la vérité, quand il aime mieux mourir que de commettre un mensonge; l'amour de la patrie, quand il sacrifie le trône de la Crète au petit royaume d'Ithaque; l'amour de la justice par le sage gouvernement de Sésostris; les vraies causes du bonheur public, dans l'explication des lois de Minos; les maux de la guerre dans la

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