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lecture entière en est réservée à un petit nombre de personnes pieuses, ou plutôt aux seuls écrivains du même genre. C'est dans ces sermons que les jeunes candidats de la chaire, dépourvus de talent, se permettent quelquefois des plagiats ignorés; car on ne vole guère impunément en littérature que les pauvres ou les riches obscurs. Les larcins de cette espèce qu'on tenterait de s'approprier dans les discours des orateurs les plus célèbres, seraient promptement dénoncés au public. La plupart des ecclésiastiques, et surtout les prédicateurs qui composent ce qu'ils débitent, lisent communément la totalité, et habituellement ensuite quelques uns de ces chefs-d'œuvre dont les principales beautés leur sont très familières.

Il ne faut rien retrancher des recueils sacrés de Bourdaloue et de Massillon; mais un zèle éclairé pour la gloire de Bossuet pourrait faire peut-être dans les ébauches de ses prédications, publiées avec trop peu de discernement et de goût, un choix commandé par le respect dû à une si grande renommée. Je me souviens que, durant le cours de mes études oratoires, l'admiration dont j'étais frappé à la lecture de plusieurs discours oubliés dans les collections inférieures de la chaire, me suggérait souvent le desir de les voir revivre dans un répertoire des plus beaux sermons composés par nos orateurs du second rang. Ce serait le plus sûr moyen d'étendre leur réputation et de perpétuer leur mémoire. L'effrayante multiplicité des livres, depuis la découverte de l'imprimerie, présage infailliblement qu'en tout genre, une réduction sévère des écrivains à ce qu'ils auront fait d'excellent, pourra seule conserver les productions qui ne sont pas con

sacrées par une réputation éclatante, ou qui, étant même empreintes du sceau du génie, se trouveront étouffées sous un amas d'ouvrages médiocres. Les deux chefs-d'œuvre que j'ai cités de Fénelon appartiennent éminemment à la première classe du genre; mais l'impossibilité de donner à quelques feuilles éparses la consistance tutélaire d'un volume 1 obligerait de les placer à la tête de nos sermons choisis parmi les plus beaux du second ordre. Ces orateurs sauvés de l'oubli s'enorgueilliraient, au fond de la tombe, de se voir rapprochés de lui par une si glorieuse société. Le grand nom de l'archevêque de Cambrai deviendrait le plus bel ornement d'une collection si desirable. On ne saurait donner un plus majestueux péristyle à ce nouveau temple de l'éloquence.

Des extraits traduits de Lingendes, quelques discours de Fléchier, en laissant à part les oraisons funèbres que celle de Turenne conserve et ternit, Cheminais, Fromentières, La Parisière, Mascaron, Bretonneau, Lejeune, Larue, Griffet, Pérusseau, Ségaud, Le Chapelain, Neuville, Molinier, La Boissière, les Terrasson, l'abbé Poulle, le père Élisée, carme déchaussé, Beauvais, évêque de Senez, l'abbé Cambacérès, l'abbé de Boismont, etc., etc., offriraient aux choix du goût plusieurs éloquents sermons, qu'on lirait avec beaucoup d'intérêt et de fruit. Ce recueil ne devrait guère excéder les limites dans lesquelles Massillon et Bourdaloue ont renfermé leurs compositions, c'est-à-dire tout au plus vingt volumes, en y comprenant plusieurs oraisons funèbres dignes d'être conser

1 On le pourrait, en ajoutant à ces deux discours de Fénelon ses Dialogues et sa Lettre sur l'éloquence.

vées, et quelques panégyriques signalés par les suffrages du public.

Plusieurs de nos orateurs de la seconde classe ne fourniraient peut-être qu'un ou deux discours à ce répertoire, comme, par exemple, le père La Boissière, oratorien, son beau sermon sur les grandeurs de Jésus-Christ; Mascaron, son oraison funèbre de Turenne; un anonyme, l'oraison funèbre très remarquable de Charles-Emmanuel III, roi de Sardaigne, imprimée à Paris en 1773, sous le noin d'un vicaire de Chambéry; l'abbé de Boismont, ses oraisons funèbres du dauphin et de Louis XV, avec son sermon sur la fondation d'un hospice pour les militaires et les prêtres infirmes, discours par lequel il termina sa carrière, et dont la seconde partie fut le plus glorieux triomphe de son talent; l'abbé Ségui, son panégyrique de saint Louis, et peut-être, à cause du début qui fit beaucoup d'effet, son oraison funèbre du maréchal de Villars; l'abbé Couturier, son panégyrique de saint Louis, etc., etc., etc. Le succès d'une telle réunion de sermons choisis eût été infaillible dans le temps où un nombreux clergé séculier et régulier, et une multitude de fidèles ou d'amateurs, recherchaient avidement toutes les productions de la chaire.

LXI. D'un discours du père Guénard, jésuite.

Je proposerais volontiers d'ajouter à ce recueil un bel ouvrage qui semble étranger à l'éloquence sacrée, mais qui s'y rallie naturellement par son objet le plus important, et par les excellents principes dont s'y embellit encore le rare talent de l'orateur. On pourrait ne pas trouver partout, sous sa main, deux feuilles

volantes, précieuses à conserver, et qui ne sauraient ètre placées plus convenablement dans aucun autre dépôt littéraire; c'est l'éloquent discours du père Guénard, jésuite, sur cette question: En quoi consiste l'esprit philosophique? Les caractères qui le distinguent et les bornes qu'il ne doit jamais franchir, con· formément à ces paroles de saint Paul: Nox PLUS SAPERE QUAM OPORTET SAPERE. Cet écrit, dont le succès eut le plus grand éclat, remporta le prix au jugement de l'Académie française, en 1755. Il précéda, par conséquent, de quatre années, l'éloge du maréchal de Saxe, premier essai de ce genre publié par Thomas. J'invite les admirateurs de ce dernier écrivain, qui lui attribuent la gloire d'avoir introduit l'éloquence dans les concours académiques, à lire avec attention cette production de l'un de ses prédécesseurs dans la mème lice; ils y trouveront des beautés oratoires du premier ordre, que rien n'éclipse assurément dans les éloges couronnés depuis par l'Académie.

Le jeune père Guénard avait incomparablement plus de talent pour l'éloquence que tous ses émules et confrères jésuites, Millot, Courtois et Cérutti, qui remportaient à cette époque des prix d'éloquence dans nos sociétés littéraires. On admira, en lisant son unique ouvrage imprimé, une grande étendue et une égale justesse d'esprit, réunies à une métaphysique neuve et profonde qui n'attiédit jamais la chaleur dont sa composition est susceptible. Mais on eut lieu de regretter que l'écrivain, beaucoup trop resserré, par l'inexcusable programme de l'Académie, dans les bornes d'une demi-heure de lecture sur une si vaste matière, ne les eût pas franchies, au lieu de sacrifier son

sujet à cette loi du concours, et qu'il se fût réduit à une ébauche, en appliquant uniquement les rapports de l'esprit philosophique de la religion, à l'éloquence et à la poésie, tandis qu'il aurait dû en étendre les effets à l'agriculture, aux beaux-arts, à l'administration, à la société, enfin à tous les autres objets scientifiques, moraux, politiques, législatifs, littéraires, mécaniques, etc., etc., sur lesquels s'exerce visiblement son influence. L'auteur lui-même se plaint avec raison, et à plusieurs reprises, de ne pouvoir, dit-il, qu'indiquer en courant une foule de choses qu'il faudrait approfondir, et de jeter à l'écart la plus grande partie de son sujet. Cet écrit a donc le singulier défaut, ou, si l'on veut, le rare mérite d'être évidemment trop court. C'est l'unique reproche qu'on puisse faire à l'orateur ou plutôt à ses juges, auxquels il aurait dû désobéir par un chef-d'a 'œuvre, en traitant complétement la question proposée, au lieu de restreindre son travail à une simple mais sublime esquisse.

Je vais en extraire quatre ou cinq passages de quelque étendue et d'une différente couleur, soit pour mettre le lecteur à portée de juger lui-même du mérite de l'écrivain, soit pour justifier la haute estime avec laquelle j'en parle, soit enfin parce que ce discours se trouve relégué dans le seul recueil de l'Académie, qui n'a que peu de lecteurs. A l'époque où il parut, son auteur, si digne d'inspirer de justes regrets aux amis des lettres, le père Guénard, s'annonçait dans la carrière de l'éloquence par le plus grand talent qu'il y eût parmi les jésuites, et même dans toute la jeune littérature. Il n'est cependant guère connu

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